Chapitre 15

​ - Je suis déçu, déclare Allard en se nettoyant les ongles avec un canif. Très déçu...

​ - I am disappointed, declared Allard while washing his nails with a penknife. Very disappointed...

​ Nous sommes dans le bureau de son entreprise de démolition, où les deux gardiens nous ont conduits. Ils sont encore là, derrière nous, et ils n'en finissent plus d'ouvrir et de refermer leur carabine, en imaginant sans doute que les bruits métalliques vont nous intimider. Si c'est ce qu'ils pensent, ils ont parfaitement raison.

​ We are in the office of his demolition enterprise, where the two guards took us. There are again here, behind us, and they keep opening and closing their rifles, probably thinking that the metallic noises will intimidate us. If they think so, they are absolutely right.

​ Allard est assis dans un fauteuil de cuir, devant une immense fenêtre qui donne sur des montagnes de carcasses d'automobiles. Ses employés y travaillent avec des grues et des bulldozers, ils sont là, tout juste derrière lui, mais je ne les entends pas. Comment se fait-il que je n'entendre rien? Aucune vitre ne peut être assez épaisse pour filtrer les bruits à ce point-là, c'est impossible. Et pourquoi est-ce que j'entends trop bien ce qui se passe à l'intérieur? Les déclics de carabines, les respirations des gardiens, même le bruit que fait le canif en décrottant les ongles d'Allard: tout me semble trop net, trop clair. Peut-être que c'est la peur qui aiguise mes perceptions: j'ai peur des carabines, donc je les entends clairement. Et comme je n'ai rien à craindre des grues et des bulldozers...

​ Allard is seated in a leather chair, in front of an immense window that overlooks a mountain of car carcasses. Its employees work with cranes and bulldozers, there are here, all behind us, but I don't hear them. How come I can't hear anything? No window can be thick enough to filter the noises at this point, it is impossible. Andy why is it that I can hear too well what happens inside? The clicks of the rifles, the breathing of the guards, even the noise made by the penknife when Allard is picking up his nails: everything seems to be too clear, too clear. Maybe it is the fear that sharpens my perception: I have fear of guns, so I can hear them clearly. And since I have never had fears at cranes and bulldozers...

​ Mais il n'y a pas que les sons qui me laissent une impression étrange: Allard me semble anormal, lui aussi, il est encore plus gros que d'habitude, comme si je le regardais à travers une immense loupe déformate, et sa face ressemble de plus en plus à celle d'un vieux chien chinois.

​ But there is no question that the sounds give me a strange impression: Allard seems abnormal, him also, he is more bigger than usual, like if I watch him through a huge magnifying glass, and his face resembles more and more to an old Chinese dog.

​ - Je suis terriblement déçu, reprend-il en continuant à se nettoyer les ongles. Quelle ingratitude, après tout ce que nous avons fait pour vous! Qu'est-ce qui vous a pris de sauter par-dessus cette clôture? J'imagine que vous allez maintenant prêter foi à ces rumeurs idiotes qui circulent au village...

​ - I am terribly disappointed, he responds while continuing to clean his nails. What ingratitude, after all that we have done for you! What caught you jumping over this fence? I imagine that you will now lend credence to these silly rumours that circulate in this village.

​ - Écoutez, monsieur Allard, dit Yan, je ne sais pas de quoi vous voulez parler. Nous avons sauté la clôture, c'est vrai, mais tout ce que je voulais, moi, c'était voir la piste de course. Je voulais marcher dessus, pour sentir l'asphalte sous mes pieds. Deux jours de congé, c'est trop long pour moi.

​ - Listen, Mr. Allard, said Yan, I don't know what you want to say. We have skipped the fence, this is real, but all that I want, me, is to just see the race track. I wanted to walk on it, to feel the asphalt under my feet. Two days of rest, it is very long for me.

​ - Ne me raconte pas d'histoires, répond Allard. Pourquoi aurais-tu pris Steve avec toi, dans ce cas?

​ - Don't tell me stories, responds Allard. Why would you take Steve with you, in this case?

​ - Parce que je voulais étudier ses réactions. Steve est un tueur, monsieur Allard. Il est patient, froid et calculateur. De tous les pilotes, c'est lui que je crains le plus.

​ - Because I want to see his reactions. Steve is a killer, Mr. Allard. He is patient, cold and calculated. For all the racers, it is him that I fear the most.

​ Allard se lève et s'avance vers Yan, ce qui me permet de lui voir enfin le visage. Il soulève un pli de graisse (comment fait-il pour savoir quels plis portent les sourcils?), ce qui lui donne un air étonné.

​ Allard stands and advances towards Yan, this finally allows me to see his face. He raises a fold of fat (how does he know which fold has the eyebrows?), which gives him a surprised look.

​ - Répète-moi ce que tu viens de dire?

​ - Repeat to me what you just said?

​ - Je voulais juste étudier ses réactions, c'est tout. Mon plan, c'était d'abord de faire semblant de me lier d'amitié avec Steve, ensuite de le conduire au cimetière et de lui raconter toutes sortes d'histoires pour semer le trouble dans son esprit, et enfin de l'amener sur la piste. Je voulais lui tirer les vers du nez, vous comprendrez? Le faire parler...

​ - I just wanted to study his reactions, this is all. My plan, it was to first to pretend to befriend Steve, then drive him to the cemetery and tell him all kinds of stories to stir up troubles in his mind and finally bring him on the track. I wanted to pull works out of his nose (to make a person confess something that they usually wouldn't), you understand? Make him speak...

​ Je reconnais bien Yan: il est peut-être pourri en français, mais pour inventer des arguments, c'est un vrai champion, comme disait M. Vinet. J'ai vu si souvent Yan emberlificoter des professeurs que je ne sui pas surpris de sa performance. En fait, il est tellement convaincant qu'il sème le doute dans mon esprit: et-il possible qu'il ait seulement fait semblant de se lier d'amitié avec moi?

​ I know Yan well: He may have rotten french, but when inventing arguments, he is a real champion, like what Mr. Vient said. I have seen Yan confuse teachers so I am not surprised at his performance. In fact, he is so convincing that he puts doubt in my mind: is it possible that he only pretends to befriend me?

​ - Ce n'est pas une façon de procéder très habituelle, c'est vrai, poursuit Yan, mais il n'y a pas grand-chose d'habituel non plus dans ces courses, monsieur Allard, vous en conviendrez sûrement avec moi...

​ - This is not a usual way to proceed, this is real, adds Yan, but there is not so much usual either in these races, Mr. Allard, you will surely agree with me...

​ Une sonnerie de téléphone se fait entendre. Allard décroche et entreprend une mystérieuse conversation avec un interlocuteur anonyme, ce qui me donne l'occasion de réfléchir à ce qui vient d'arriver: les gardes armés qui arrivent au moment précis où nous découvrons le cimetière, Allard qui semble avoir pris cent livres en quelques jours, cette grande fenêtre qui ne laisse passer aucun bruit, Yan qui emploie des expressions du genre vous en conviendrez sûrement avec moi, et même ce téléphone qui sonne encore une fois au bon moment, comme pour me permettre de réfléchir, ça fait trop de détails qui lochent, trop de coïncidences... Une intuition fulgurante me traverse alors l'esprit, et je décide d'agir sur-le-champ. Je me lève et me dirige vers les deux gardiens, qui me regardent avancer sans la moindre réaction.

​ The ring of a telephone is heard. Allard picks up the phone and starts a mysterious conversation with an anonymous contractor, this gives me the occasion to reflect what will happen: the armed guards who arrive at the precise moment where we discover the cemetery, Allard who seems to have taken 100 pounds in a few days, this large window that lets no noise pass, Yan who uses expressions of the genre will surely agree with me, and even if this phone rings again at the right time, as i it gives me time to think, it is too many details that blink, too many consciousnesses... a dazzling intuition crosses my mind, and I decided to act on the fly. I rise and go towards the guards, who looks at me without any reaction.

​ Ils ne réagissent pas non plus quand je m'empare d'une des carabines et que je marche calmement vers Allard en le visant à la tête. Je suis décidé à lui faire éclater la cervelle, mais je change d'idée à la dernière seconde et je vise plutôt la grande fenêtre, derrière lui. J'entends le coup de feu, je sens l'odeur de la poudre, mais je ne ressens pas el recul de la carabine. La fenêtre vole en éclats mais aucun des ouvriers qui travaillent dans la cour ne réagit à la détonation. Tous continuent à travailler silencieusement, comme si de rien n'était, comme s'ils jouaient dans un film muet. Mon intuition était juste: il y a trop de détails qui clochent.

​ They don't react when I grab one of the rifles and walk calmly towards Allard, aiming at his head. I am determined to make his brein burst, but I change my mind the last second and I aimed at the big window behind him. I hear the shot, I smelled the powder but I do not feel the recoil of the gun. The windows breaks but none of the workers who work in the yard react to the detonation. Everyone continues to work silently, like nothing had ever happened, as if they are playing in a silent film. My intuition was correct: there are too many wrong details.

​ Puisque personne ne semble faire attention à moi, j'en profite pour sortir bien tranquillement, tandis que M. Allard parle encore au téléphone, que le deuxième gardien continue à ouvrir et à refermer machinalement sa carabine. Yan, lui, ne fait rien du tout, comme s'il était un robot dont les piles sont épuisées.

​ Since no one is paying attention at me, I take the opportunity to get out very quietly, while Mr. Allard is talking on the phone, while the second guard continues to open and close his gun. Yan doesn't look at me at all, like he is a robot with exhausted batteries (sponsored by Energizer).

​ Dehors, une petite automobile rouge est stationnée devant le bureaux, comme je m'y attendais. Au volant de cette automobile, Roxanne. Roxanne, dont le sourire n'a jamais été aussi radieux, et qui ressemble de plus en plus à la vraie Roxanne. Allons-y, Roxanne: j'ai besoin de toi pour finir cette histoire de fous.

​ Outside, a little red car is parked in front of the office, as I expected. At the wheel of the car, Roxanne. Roxanne, whose smile has never been so radiant, and who looks more and more like the real Roxanne. Let's go, Roxanne: I need you to finish this crazy story.